I
Il est une histoire ancienne qui parle d’un Roi bon pour son peuple et adoré de tous. À sa mort, le jeune Prince, terrifié de ne pas posséder la sagesse de son père pour guider le Royaume, demanda à ses conseillers de lui trouver un guide : quelque chose comme une boussole, toujours fidèle, montrant le bon chemin pour les décennies à venir, pour le préserver de ses erreurs, malgré les tempêtes, les épreuves et l’obscurité.
Après de quelques semaines, les conseillers revinrent avec un simple anneau ;
sur l’Anneau était gravé : « Cela aussi passera ».
II
Cet anneau, j’ai souvent pensé à t’en offrir une réplique. À tes 18 ans. Ou tes 20 ans. Voire pour ta première dépression. Ton premier mariage. Peut-être à un enterrement.
Si je t’en partage aujourd’hui l’histoire, elle qui ne me quitte pas depuis plus de vingt ans, c’est d’abord parce que je trouve ça cool comme fin pour la Bibliothèque, c'est un départ en « fafare-feutré » comme je les aime, mais surtout parce que je réfléchis depuis quelques semaines à ce que j’aurais aimé me dire si j’avais de nouveau 15 ans.
III
Je m’imagine rentrer au lycée pour la première fois, découvrir l’internat, le parc, ces nouveaux amis, et rodant dans un couloir après le dîner, voir sortant des dédales du Temps une autre version de moi-même venue du futur, habillée de noir (évidemment), lunettes rondes sur le nez, long manteau, et affichant presque quarante ans d’existence.
Que pourrais-je me dire d'important ? D’important, mais pas imposant : c’est délicat de se parler à soi-même ; il ne faudrait pas trop se changer, sauf si l’on veut se perdre.
Eh bien, je pense que j’aurais aimé me partager cette histoire d’anneau pour la découvrir à ton âge, juste sur les marches du lycée. Car réfléchis bien, Cela aussi passera est l’autre face du Carpe Diem ; la question d’un côté, la solution de l’autre ; et inversement.
IV
Car tout passera, Petite Lionne. Tout.
L’Anneau finira rongé, oublié, enterré, dissous. Mais aussi le Royaume, le Prince, ses fils, et les fils de ses fils.
Même les Hommes.
Notre Soleil.
La Terre.
Mars.
Cela aussi passera. Tout passera.
Cette Bibliothèque de toute évidence,
mais moi aussi.
Toi aussi.
Les bons moments, comme les moins bons.
Nos angoisses, nos amours.
Cela aussi passera.
Alors que reste-t-il ?
À quoi s’accrocher si ni la pierre, ni des montagnes d’or ne résistent au Temps.
Si tout est foutu, vers quoi l’Anneau guide-t-il ?
V
La réponse est pourtant là, Jolie Gamine.
Les Conseillers ne se sont pas trompés, l’Anneau est bien une boussole comme nul autre pareil : tout est là, dans ces trois mots.
Cela. Aussi. Passera.
L’Anneau indique le problème, mais aussi la seule solution.
Car si Cela aussi passera, réfléchis encore un peu : puisque rien n’a d’importance, il n’y a, en réalité, rien que la physique t’autorise que tu ne puisses pas faire.
VI
Ni aborder ce garçon, et tant pis si tu bafouilles et que tu as honte : cela aussi passera. Ni affronter le regard des autres, des profs et des petites connes ; eux aussi passeront.
Des iPhones, des petites phrases, des premières clopes, de l’alcool. Cela aussi passera.
De la différence, d’être catholique ou autre chose, cela aussi passera. Tout passera
Des combats, politiques ou philosophiques, etc. Des excès, des erreurs, d’avoir déjà fait ceci ou de ne pas avoir fait cela. On s’en tape, puisque tout passera (et puis ce n’est pas grave de ne pas savoir ; c’est chouette d’avoir encore des trucs à apprendre).
La honte ou la colère n’ont de prise sur nous, puisqu’elles passeront.
VII
T’as pas le bon T-shirt ou la dernière babiole à la mode ?
Regarde plutôt cette brochette de bouffons, identiques et pourtant certains d’être différents : des fous dans un cirque. L’Anneau indique que cette mode aussi passera : ce n’est donc pas important.
S’ils rient de toi, ils se trompent ; mais la vie est trop courte pour tout leur expliquer, alors rions simplement d’eux, sans orgueil.
Nous, on sait qu’on pourrait débarquer dans ce lycée déguisé en pingouin un matin si on le voulait, et que, si on assume sans baisser les yeux, on resterait charismatique.
Oh Captain! my Captain!, nous, on le sait que l’on peut monter sur les tables si on en a envie, déguisé en pingouin ou non.
Eux resteront assis, médusés, comme s’ils avaient découvert une nouvelle dimension :
« Pouwwwaa… Mais on peut monter sur les tables en faite ? C'est possible ? C'est pas interdit ? »
Ben ouais on peut, mon con, on peut même se fringuer comme on veut.
VIII
Cet Anneau, si on ne l’oublie pas, rend invincible à la connerie ; il nous renoue avec la seule vérité qui existe : l’instant.
Il trie le tangible de l’illusoire, l’important du superficiel ; et le superficiel, on peut en rire avec légèreté.
IX
Alors rions de tout, je te le dis.
Et particulièrement des « sujets sérieux », qui ne sont pas plus sérieux que les autres puisque tout passera.
Rions de leur avis, de leur classement, de leurs lubies.
Rions des codes, des règlements, des certitudes ; de l’affirmatif comme de l’impératif ; des nations comme des religions. Cela aussi passera.
Et si à la fin, le futur nous condamne à l’oubli, vivons maintenant avec deux fois plus d’appétit.
Si nous n’avons qu’une minuscule vie, vivons-la en grand.
X
Et puisque nous rions de tout, regarde-les tous droit dans les yeux, esquisse un petit sourire (c’est toujours plus facile avec un sourire), et demande se que tu veux : tu n’as rien à perdre.
Tu es invulnérable puisque tout passera.
Léonie, Petite Lionne, prends cette Anneau, cette idée,
prends cette vie,
ce lycée.
Prends tout.
Les rires, les garçons, les copines.
La meilleure place.
Le double de dessert.
Prends tout.
Fais-toi porter ton sac,
voire fais-toi porter tout court (ça peut être marrant).
Prends tout.
Amuse-toi bien : on n’a qu’une fois 15 ans.
N’oublie pas : « Cela aussi passera ».
Alors Carpe Diem.
— Loizeau.
PS. si ça peut t’aider, je suis prêt à parier que quoi que tu fasses, JB et moi avons fait pire.